[Cet article est la deuxième partie d’une revue de presse à propos d’un hors-série du Point sur « Homme, Femme : les lois du genre. Les textes fondamentaux ». Il sert d’introduction et de première vulgarisation des gender studies mais aussi de l’histoire du rapport entre masculin et féminin des origines au monde contemporain. Vous pouvez retrouver l’article précédent à cette adresse.
Le présent article est consacré aux origines de ce rapport complexe et de la relation entre le genre et les monothéismes.]
Aux origines
En guise de première approche des textes fondamentaux sur le féminin et le masculin il fallait bien commencer par le commencement. Au commencement ne fut pas le Verbe mais la Femme, née de la Scission du principe Mâle et Femelle initialement en symbiose dans la figure de l’Androgyne. Mais le mythe qui me touche le plus est celui d’Isis et d’Osiris dans la mythologie égyptienne et plus que tout Isis, « la grande magicienne », en tant qu’vierge-mère (c’est-à-dire parthenos, sans époux) immaculée mais certes au destin un peu plus badass qu’une autre Vierge. Isis est pourtant une figure androgynique, le point de rencontre de deux pôles, masculin et féminin, en tant que principe absolu de vie. Elle est la Mère de l’humanité (« J’ai fait l’homme bien que je sois femme pour que ton nom sur la terre », Papyrus du Louvre) mais aussi l’Inviolée car, comme l’écrit Plutarque en prêtant sa voix à Isis : « je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et mon voile, aucun mortel ne l’a soulevé » l’assimilant presque à la fois à une Sauveuse, une Gardienne et une Vierge. Toutefois, ce n’est qu’en tant que mère, qu’Isis réunie en elle le masculin et le féminin. Mais, à titre personnel, Isis est la féminité par excellence qui se passe d’homme mais qui à la fois, même autonome, entretient un lien passionnel, fusionnel avec Osiris jusqu’à dépasser les limites du royaume des morts. Pourtant, malgré parfois sa figure de virgina lactans, allaitant Horus, c’est une figure solitaire, la première mère monoparentale de l’Histoire, en somme.
Un autre mythe fondateur, cette fois amérindien des Tsimshians, m’a fait beaucoup rire pour sa naïveté sur la femme prédatrice et castratrice. Il s’agit du mythe du vagina dentata selon lequel les jeunes époux avaient si peur de déflorer leur jeunes épousées qu’ils les offraient à un autre de peur que le sexe féminin ne morde leur phallus, responsable même du rétrécissement du pénis masculin ! (Vous avez le droit de rire, mesdemoiselles.) Différentes variantes circulent selon les contrées comme en Sibérie où il est narré qu’une jeune fille aurait inséré la mâchoire d’u brochet dans son intimité pour repousser les prétendants trop empressés ou encore en Afrique du Sud où c’est un serpent qui habite le vagin des femmes toujours pour protéger son honneur mais aussi, accessoirement, pour lui procurer du plaisir. A la fois répulsif et adoré, le sexe féminin ainsi décoré fait aussi souffrir la femme qui ne demande qu’être libérée de cette ceinture de chasteté intime. Et là, les récits n’y vont pas dans la dentelle pour casser au burin ces dents d’en-bas… D’ailleurs, cette fascination pour le sexe féminin, source de plaisir et de douleur des deux côtés du lit conjugal, est arrivé jusqu’à Verlaine qui dans Chansons pour elles écrit :
« Anthropophage cher
Qui veut aux sacrifices
Non le sang des génisses
Mais le lait de ma chair. »
Et le vagina dentata est arrivé jusqu’à nous non seulement sur les écrans avec le film d’horreur Teeth (2007) de Mitchell Lichtenstein où une jeune puritaine punit sadiquement les jeunes hommes libidineux avec un outil intime aussi tranchant ou encore, l’invention par un médecin sud-africaine d’un préservatif anti-viol, le Rape-aXe armé de petites dents pour attaquer et faire souffrir quiconque qui ne serait pas invité…
Les monothéismes
Vous me voyez venir, on ne peut pas parler du christianisme et de la sexualité sans réfléchir sur Sodome et Gomorrhe. Personnellement, quand je pense à cet épisode biblique (tous les matins avant de me brosser les dents, bien sûr), c’est l’inceste assez dégueulasse entre Lot et ses filles (après l’épisode de sa femme transformée en statue de sel pour avoir regardé une dernière fois la ville en pleine destruction) pour des raisons de pure perpétuation de la lignée. Mais forcément, on retient cet épisode pour sa condamnation explicite de l’homosexualité et pour l’invention du terme « sodomite » comme Oscar Wilde accusé d’être un « somdomite » (parce qu’en plus d’être un vieux réac, Lord Queensberry était analphabète, incapable d’orthographié correctement son chef d’accusation).
Il faut déjà rectifier que dans la Bible, l’homosexualité (même dans ce texte) n’est pas la première cible voire (j’ose le dire) elle est presque à encouragé. Après tout, qu’est-ce que le roi David et Jonathan ou encore Jésus et Simon-Pierre entretiennent sinon une relation homosexuelle, du moins homophile sans forcément qu’il y ait consommation ? Et Sodome et Gomorrhe dans tout ça ? Elles ont bien cramé, ces villes ! Il ne faut pas se méprendre, ce qui est puni dans cet acte justicier, c’est le refus d’hospitalité : Lot accueille chez lui deux anges, déguisés en hommes, et les protègent de la violence des habitants qui demandent qu’ils sortent de la maison : « ne faites rien à ces hommes, ils sont venus à l’ombre de mon toit. » C’est en tant que justes que Lot et sa famille sont épargnés et Sodome et Gomorrhe sont punies moins pour leur débauche que pour leur refus de l’autre, de l’étranger. De là, il n’y avait qu’un pas pour exploiter ce passage pour la défense de toute altérité et toute orientation sexuelle…
Que cela soit à propos du christianisme ou de l’islam, j’ai beaucoup été touchée par les développements sur l’érotisme que cela soit le Cantique des Cantiques, Les Milles et Unes Nuits ou encore La Prairie parfumée où s’ébattent les plaisirs de Cheikh Nefzaoui. Il n’y a rien de subversif là-dedans ou même de délibérément provocateur. On met tellement en avant la pudeur, le refus du corps et surtout du corps féminin (qu’il soit voilé ou bien dissimulé sous un col roulé bon chic-bon genre) que je préfère mettre en avant les exceptions qui confirment la règle en évitant les caricatures et les préjugés.
J’ai une tendresse particulière pour le Cantique des Cantiques, dans la tradition juive considéré comme « le saint des saints » mais surtout abondant en terme d’intertextualité dans toute la littérature amoureuse. Qu’on prenne ce texte littéralement ou symboliquement, il transmet une vision unique du rapport entre l’homme et la femme fondé sur une égalité mutuelle et une réciprocité exemplaire. Forcément, compte tenu des métaphores hautement explicites qui exaltent le corps de l’être aimé, une lecture contemporaine pourrait très bien y voir un épicurisme fondé sur un bon usage des plaisirs et des désirs, autant corporels que spirituels sans qu’on y voit aucune contradiction apparente avec le judéo-christianisme. Mais si on place ce texte en regard de la sphère du mariage, forcément, on y voit davantage des vertus matrimoniales que l’exaltation d’une vie libérée. A titre personnel, j’y vois beaucoup plus une invocation en l’absence de l’être aimé et donc l’expression d’un désir, d’un manque intenses qui va avoir besoin de l’image du corps et des attraits de son bien aimé pour apaiser sa soif de l’autre.
« Sur ma couche, pendant les nuits, j’ai cherché celui que mon coeur aime ; je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé…
Je me lèverai, et je ferai le tour de la ville, das les rues et sur les places, je chercherai celui que mon coeur aime. Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé.
(…)
Comme ton amour vaut mieux que le vin »
De même, l’érotisme et l’islam est un sujet qu’on aborde tellement peu comparé à d’autres sujets plus ou moins stigmatisants que j’ai envie non pas de parler du topos de « la femme soumise » mais plutôt de figures beaucoup plus fortes et beaucoup plus mystérieuses qui brouillent les idées toutes faites sur le masculin et le féminin. Le corps fascine autant qu’il est craint parce que la jouissance féminine est énigmatique tout comme ses désirs. Ça n’a rien avoir avec une quelconque accusation de lubricité ou d’inconstance, c’est tout simplement un topos qui nourrie la littérature amoureuse et érotique et tout l’ambiguïté est là : le plaisir de la lecture est indissociable d’une certaine réserve, voire d’un accès de moralisation typique de certains contes. Mais si La prairie parfumée présente cruement les désirs des femmes et leurs assouvissements, Les Mille et Unes Nuits, en tant que discours enchâssé où Shéhérazade prend la parole, devient conteuse pour mettre en scène les fantasmes masculins, sont aussi une sorte de mise à distance. Les contes peuvent raconter des histoires !
Pour en finir avec les monothéismes et leur rapport au masculin/féminin, je crois que l’une des interventions dans cette revue qui m’a le plus fait réfléchir a été l’entretien avec Delphine Horvilleur, rabbin tout en étant femme, au sein du Mouvement juif libéral de France. Actuellement, on a tendance à mettre en avant ce genre de représentants libéraux des diverses religions tous héritiers des Lumières, de la Raison, des droits de l’Homme, etc. C’est toujours facile de parler des exceptions plutôt que de la règle pour mieux sortir des préjugés et même s’il faut toujours se souvenir que c’est un point de vue toujours un peu minoritaire et pas forcément représentatif, ça fait plaisir d’ouvrir le débat aux points de vue les plus opposés au sein d’une même confession. L’entretien avec D. Horvilleur touche à la fois à la place de la femme dans le rituel que dans la pensée judaïques face à la montée d’une ultraorthodoxie oppressive envers les femmes et leurs droits, notamment en Israël. Je suis assez mal placée pour juger de ce genre de chefs d’accusation mais Delphine Horvilleur rappelle que c’est aussi le cas en France et dans d’autres cultures mais que la femme est toujours plus ou moins exclue comme une variable commune :
« Très souvent, le masculin est pensé comme hermétique., à la manière d’un corps clairement identifié., avec des frontières précises, tandis que le féminin est conçu comme cet être de passage que définit le processus de la naissance. »
Pourtant, la Torah abonde de femmes exemplaires de Rebecca, à Esther en passant par Ruth ou Myriam, la soeur de Moise, Toutes ont joué un rôle fondamental autant pour la sortie des Juifs d’Egypte ou tout simplement dans le destin du peuple juif. A titre personnel, je suis assez « fan » de Rebecca, la femme infertile d’où va naître pourtant deux nations, celle de Jacob et celle d’Esaü, et qui va défier le droit d’aînesse en préférant le cadet à l’aîné de ses jumeaux.
Le statut de la femme dans la loi juive a visiblement été très variable à la fois progressiste par rapport aux sociétés environnantes à l’époque de sa mise en application (comme en cas de divorce, le droit à une compensation financière pour la femme) mais qui, comme de nombres lois, n’a pas su s’adapter aux évolutions ultérieures. Comment peut-on être rabbin et femme dans ce cas ? Le judaïsme libéral autorise autant les femmes que les hommes à lire la Torah et à faire l’office mais, c’est assez dérisoire en France quand on pense qu’il n’y a que deux rabbins féminines dont Delphine Horvilleur qui a été formée à New-York puisque le séminaire rabbinique n’est pas ouvert chez nous aux femmes…. C’est une vocation assez courageuse et à la fois allant j’imagine de soi quand on se sent à la fois femme et juive sans sentir un quelconque conflit d’identité. La question est plutôt : en quoi être femme rend meilleur un rabbin ?
« Qu’apporte le féminin au sein d’une fonction traditionnellement masculine ? S’agit-il de la singer, ou au contraire de l’enrichir ? Pour répondre à cette question il convient d’explorer les moments dans le culte où le masculin et le féminin dialoguent. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit. Souvent, dans la prière ou dans les textes, les hommes investissent les attributs du féminin. »
[Dans un souci de rendre ce compte rendu mieux lisible, je l’ai divisé en quatre parties. Vous pourrez retrouver l’article sur la lutte des femmes dans le prochain article très vite !]